[Compte-rendu de lecture] « De l’ours en peluche au singe moqueur » de Georges Chapouthier, Revue de la LFDA
Vient de paraître dans le numéro 123 de la revue de la Fondation Droit animal, Éthique et Science, mon compte-rendu de lecture de l’ouvrage de Georges Chapouthier, De l’ours en peluche au singe moqueur, qui vient de sortir aux éditions Pippa, collection Kolam.
Astrid GUILLAUME, « De l’ours en peluche au singe moqueur. Souvenirs d’un passionné d’animaux de Georges Chapouthier », Revue de la LFDA, n°123/2024, pp.19-20.
Cet ouvrage d’une soixantaine de pages est publié dans la collection Kolam aux éditions Pippa, le kolam, petit clin d’œil à ces dessins souvent fort colorés, aussi simples que puissants, qui se trouvent en Inde aux seuils des maisons. C’est aussi le cas de cet ouvrage, il est aussi simplement écrit que son message est puissant. Structuré en dix-huit parties, il retrace l’évolution personnelle et le début du parcours professionnel de Georges Chapouthier. De la petite enfance accompagnée d’un « ours en peluche » au début d’une carrière avec un « singe moqueur », nous suivons, chapitre après chapitre, le petit garçon amené à devenir le grand chercheur que nous connaissons aujourd’hui.
Comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique, Souvenirs d’un passionné d’animaux, il s’agit ici de présenter, par ordre chronologique, certains souvenirs d’un « passionné d’animaux », ces « petits » moments de vie, apparemment anodins, mais qui décident pourtant d’une grande destinée. On découvre les événements qui vont marquer l’enfant amené à devenir l’un des piliers de la LFDA et de la Société française de Zoosémiotique : sa présence dans un abattoir, une partie de chasse refusée avec force et courage, la découverte des insectes, l’amour de la pluie, la rencontre décisive avec trois chimpanzés, dont l’amitié et le sens de l’humour allaient marquer Georges à vie.
Pour celles et ceux qui connaissent Georges Chapouthier, c’est un régal de parcourir ces pages, qui dévoilent avec beaucoup de pudeur et de fraîcheur l’univers d’un jeune garçon parfois spirituel, parfois contemplatif, toujours très observateur des animaux, cherchant à se fondre dans et avec la nature, dans une sorte d’osmose quasi mystique avec l’orage et la pluie, celui-là même qui deviendra le poète que nous connaissons aujourd’hui, jusqu’au biologiste, éthologue avant l’heure, qui étudiait déjà la sentience des chats et des singes avant même que le mot n’entre dans la langue française.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Georges Chapouthier, l’ouvrage permet de comprendre les raisons qui ont marqué sa mémoire au point de motiver ses choix professionnels et sa vocation de chercheur. À n’en point douter, cet ouvrage fera réfléchir bien des collègues et étudiant(e)s, qui se retrouveront dans des souvenirs d’enfance communs, ceux-là mêmes qu’on ne parvient pas à oublier tant ils sont ancrés en nous pour toujours.
On comprend également mieux l’ouverture d’esprit de Georges Chapouthier sur les sciences du vivant et sur la philosophie, car faut-il le rappeler, Georges possède deux doctorats, l’un en biologie, Essais de transfert par voie chimique d’informations acquises par le cerveau : étude critique (1973), l’autre en philosophie, Essai de définition d’une éthique de l’homme vis-à-vis de l’animal (1986) : cette double passion naît clairement durant l’enfance.
Féru de haïkus et de haïbuns, le poète Georges Chapouthier, connu sous le nom de plume de Georges Friedenkraft, a parsemé son autobiographie de petits textes poétiques japonais de son cru ou extraits de l’ouvrage Haïkus et tankas d’animaux. Dans « Promenades dans la campagne saintongeaise » (pp. 43-44), on lit que son souhait était de « faire physiquement corps avec la nature ». En effet, on y apprend que la symbiose avec la nature, que Georges Chapouthier a connue dès l’enfance, a été déterminante pour son avenir, témoin cette nuit passée seul dans un grenier frappé par l’orage et la pluie, où tout enfant aurait pris peur mais où lui va s’émerveiller de tous les sons qui l’entourent, se créant alors son propre univers dans une forme d’osmose avec les éléments en furie :
« La valse des gouttes
tambourinant sur les tuiles
le ballet des fées » p. 39
« Tout se joue dans la petite enfance » (pp. 7-12), ce chapitre rappelle combien l’enfance s’avère primordiale dans la naissance des vocations et des souvenirs marquants. S’il est bénéfique de conserver son âme d’enfant quand on devient adulte, on ne sait pas, enfant, à quel point ces années-là vont être cruciales pour la suite, à quel point ces années d’enfance sont fondatrices pour la construction de la personnalité et pour les causes que nous allons décider de défendre ultérieurement.
Si on pouvait se douter, comme l’explique « Une passion de toujours pour les animaux » (pp. 13-14), que la question de la protection des animaux avait sans doute toujours été présente chez Georges Chapouthier, on ignorait qu’un ours en peluche, reçu comme cadeau de Noël à l’âge de cinq ans, qui allait être le premier d’une belle collection, à une époque où les petites filles voulaient des poupées et les petits garçons préféraient les trains et les autos, serait aussi l’un des premiers déclencheurs de la carrière qu’on lui connaît, tout comme ses vacances à la ferme chez ses grands-parents :
« Ma bibliothèque
ce sont mes livres d’école
et les champs de blé » p. 15
Partagé entre Paris pour sa scolarité et la Charente-Maritime pour ses vacances, c’est avec sa grand-mère que Georges a fait ses premières expériences douloureuses à la vue d’une poule enfermée dans une cage, « Une poule au cachot » (pp. 19-18). Et c’est avec son grand-père, sa chatte grise tigrée et ses chatons, que Georges va découvrir la belle vie des chats de campagne, « La chatte de mon grand-père » (pp. 21-23), mais également la dure réalité des fermes où il était habituel de tuer les chatons de peur d’une trop grande prolifération. Ces expériences auprès des siens souvent heureuses, mais parfois aussi violentes pour le jeune enfant qu’il était, ont permis au petit Georges d’observer les sensibilités, les sentiences et les intelligences animales. On constate que les chats y ont joué un rôle important : la complicité développée avec Minette ou le regard intense de Mistou ont fortement marqué Georges au point d’occuper une place de choix dans l’ouvrage.
« Communauté d’être
l’affection en océan
les humains les chats » p. 34
C’est avec cet esprit insouciant et grave que Georges Chapouthier relate quelques souvenirs, heureux et malheureux, majoritairement en lien avec les animaux : ici et là, il évoque des problèmes de société comme la chasse qu’il est fier d’avoir eu le courage de refuser très jeune (p. 53), le tabac que l’État distribuait au service militaire alors que l’on savait déjà qu’il était cancérigène (p. 58) ou encore la question de pouvoir partager la même sépulture avec ses animaux domestiques (p. 34), qui sont des problématiques toujours très actuelles, et derrière lesquelles les animaux, morts ou vivants, ne sont jamais bien loin.
P. 36, la présence d’un très beau croquis de Wan Han Chapouthier, l’épouse disparue et regrettée de Georges, intitulé « La maison de mon enfance » accompagne ici une photo d’enfance, là une photo du jeune chercheur (p. 11), ou encore partout dans l’ouvrage des dessins de souris de Renée Huc, également sur la couverture, qui nous replongent d’une part dans un univers éminemment enfantin mais également dans les préoccupations du jeune biologiste sur le statut injuste des animaux de laboratoire.
En suivant Georges Chapouthier de l’enfance à l’âge adulte, nous comprenons qu’il est des événements dans la vie d’un jeune humain qui pèsent plus que d’autres dans la balance, ou en tout cas, qu’on n’oublie pas, parce qu’ils sont fondateurs de notre être en construction.
On notera que l’ouvrage s’achève avec une pointe d’humour – quand on connaît Georges, on sait qu’il termine toujours ses rencontres et appels téléphoniques par une bonne blague –, mais aussi avec le mot « espérance »…
Astrid Guillaume

Compte-rendu de lecture ci-dessous et sur le site de la LFDA


